La Révolution otage de la Police et des Islamistes

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Nous sommes encore sous Ben Ali. L’engrenage dans lequel le système Ben Ali a enfermé la population ne s’est pas effondré quand il a fuit, au contraire, il s’est exacerbé. A la menace « ou bien la police ou bien les islamistes » succède l’offre promotionnelle 2 en 1  « police ET islamistes ». On dit en français « être prit entre le marteau et l’enclume », en tunisien se serait plutôt « être prit entre la matraque et la barbe ».

LE « DEGAGISME » : PECHE ORIGINEL DE LA REVOLUTION

La contestation entamée le 17 décembre s’est catalysée le 14 janvier par un cri unanime adressé au général Ben Ali : « Dégage ». Erreur de jeunesse, fatale s’il en est : Ben Ali a dégagé, certains des caciques de l’ancien régime ont dégagé mais le régime est resté en place. Le système élaboré par Bourguiba, reprit et perfectionné par Ben Ali a continué d’opérer. Quand on a vécu des décennies entières sous deux cultes de la personnalité assez exacerbés et pour le moins sophistiqués, l’on est enclin tout naturellement à personnifier un tant soit peu les luttes. Mais rétrospectivement, l’on ne peut que se rendre à l’évidence des limites politiques de cette personnification démesurée. Il ne fallait pas faire dégager Ben Ali de son trône, il fallait brûler le trône tout entier, éventuellement avec Ben Ali dessus.

LA THEORIE DU COMPLOT EST DE LA NON-PENSEE

En continuant d’opérer, le système Ben Ali après Ben Ali a néanmoins fait naître dans une frange de la société une variante essentielle quant à l’analyse des phénomènes sociopolitiques : la théorie du complot. Ainsi par exemple, les derniers jours, la police politique serait en train de commettre des forfaits en se faisant passer pour des groupuscules islamistes pour détourner l’attention de la population et dans un second temps, légitimer la répression.

Passons sur le fait qu’aucun des tenants de cette théorie n’ait pu jusqu’à ce jour fournir le moindre exposé argumenté de la dite théorie, encore moins des preuves tangibles, nous ne pouvons pas pour autant passer sur le fait que toute bonne théorie du complot qui se respecte est une négation de l’humain car elle pose de façon systématique l’exécution automatique d’un plan global au détriment d’un groupe de personnes qui seraient amenés à réagir de façon prédéterminée et prévue par ce plan.

Autrement dit, la règle élémentaire dans une théorie du complot est que tout être humain est dénué d’instinct, d’intelligence, d’imprévisibilité, de fantaisie et de tout ce qui le distingue d’un robot, sauf bien entendu celui qui est conscient de ce complot : lui est plus intelligent que tous les autres puisque lui a deviné qu’il y avait un complot. D’autre part si l’on considère la pensée comme le mécanisme qui consiste à déconstruire, réfléchir, analyser, décortiquer pour tirer certaines conclusions toutes relatives, une théorie du complot en est l’exact opposé puisque c’est d’une seule, unique et virtuelle idée arrêtée que tout découle et à qui tout obéit.

STRATEGIE DU POURRISSEMENT

Il ne s’agit pas de dire ici que la police s’est transformée en protectrice de la veuve et de l’orphelin après avoir expiée ses fautes par les lames (et non devant les tribunaux) mais que la police a continué de réprimer et d’être ce qu’elle a été à visage découvert (quoique ses agents soient cagoulés) et non en conspirant.

Il y a bien eu un changement de stratégie, il est évident qu’elle ne pouvait pas continuer d’agir exactement de la même manière qu’avant la révolution, mais ce changement n’est pas celui de l’élaboration d’un ou de plusieurs complots qui se relient en réseaux.

La politique de la police sous les gouvernements de Ghanouchi et de Caid Essebsi est celle du pourrissement. Les défenseurs de la théorie du complot de la police politique qui argumentent sur le fait que la police n’intervient pas ou intervient tardivement ces derniers jours vis-à-vis des agressions commises par des groupuscules islamistes oublient que c’est la même attitude adoptée par la police lors des débordements survenus dans les stades après la reprise des compétitions sportives, pour ne citer que cet exemple. Se trouvant dans l’incapacité de se réformer, la police tunisienne adopte l’inaction comme punition vis-à-vis du peuple, en attendant le retour complet à la répression, qui n’a par ailleurs jamais cessée.

LA REALITE DE L’ISLAMISME


L’islamisme n’est plus une menace en Tunisie, il est une réalité. Il a été brandi par Ben Ali pour se maintenir au pouvoir et légitimer sa dictature. En fin de compte, se sont précisément ce pouvoir et cette dictature qui ont été le nid d’une régression identitaire et d’un enfermement doctrinal que l’on peut aisément déceler au sein de la société tunisienne, spécialement lors de la dernière décennie. Le règne de Ben Ali a fait proliférer ce qu’il prétendait combattre.

Alors que c’était un phénomène inexistant en Tunisie dans les années 60, qu’il a été marginal dans les années 70, qu’il a été important dans les années 80  puis clandestin les deux décennies suivantes, aujourd’hui  l’islamisme n’est plus un phénomène mais une réalité. Comme toutes les réalités, elle est complexe et mouvante. Et c’est parce qu’il est devenu une réalité que nous avons besoin de le combattre avec encore plus de virulence.

POLICE / ISLAMISTES : « JE T’AIME. MOI NON PLUS. »

Et c’est ainsi qu’après le 14 janvier, police et islamistes se sont pendant un instant regardés en chiens de faïence avant d’entrer tous les deux dans la danse. La police a besoin des islamistes pour réprimer et les islamistes ont besoin de la répression de la police pour se propager. Cette paradoxale connivence dans l’affrontement n’est pas si contre-nature qu’elle puisse paraître à première vue.

Les systèmes répressifs et rétrogrades vont toujours de pairs. Ainsi, l’attaque du  CinémaAfricArt. Mais supposons un moment que se soit un complot de la police politique, la réaction officielle du parti Ennahdha qui au lieu de condamner clairement s’en prend au film avec les mêmes arguments que ceux qui ont attaqué le cinéma et qui menacent de mort depuis des mois la réalisatrice, dément d’elle-même cette supposition.

D’autres part, les pages Facebook islamistes aux mains de personnes se déclarant clairement d’Ennahdha, à moins d’être subitement tombées dans les mains de la police politique démontrent bien par leurs commentaires, appels, etc., leur totale adhésion à cette action (certains même appellent à des actions plus radicales contre les civils « impies » comme ils les appellent) ce qui rend aussi caduque la thèse de la théorie du complot. Ou alors, ce n’est pas un complot orchestré seulement par la police politique, mais un complot orchestré conjointement par la police et les islamistes.

Continuer à lutter contre l’un et contre l’autre, c’est tout simplement continuer la révolution, c’est œuvrer à la destruction du choix manichéen hérité du système Ben Ali. La passion créatrice de la révolution tunisienne n’a pas suffit, la seule alternative qui s’offre aujourd’hui est que cette passion devienne une passion destructrice de la pièce Ben Ali et ses deux revers : la police et les islamistes.

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