Pilier de la société, le syndicat UGTT se cherche une nouvelle légitimité

Pilier de la société, le syndicat UGTT se cherche une nouvelle légitimité

Considéré comme l'un des derniers caciques du régime Ben Ali, le secrétaire général de l'UGTT est sous le feu des critiques. Pourtant, le syndicat, acteur clé de la société tunisienne, entend bien jouer un rôle de premier plan dans le pays.

Sur Internet, dans la presse, parmi les manifestants, chez les syndiqués eux-mêmes... Sur tous les fronts, les critiques à l'encontre du secrétaire général du principal syndicat tunisien, Abdesallem Jrad, se multiplient. Après "Ben Ali dégage" et "Ghannouchi dégage", "Jrad dégage !" est pour une partie des Tunisiens le nouveau mot d'ordre. Sur Facebook, plusieurs groupes - dont certains suivis par près de 25 000 personnes - appellent à manifester ce samedi devant le siège de l'Union générale tunisienne des travailleurs (UGTT), pour réclamer son départ.
Sur Twitter, ce sont des documents - dont l'authenticité n'est pas prouvée - censés témoigner de la corruption d'Abdessalem Jrad et de sa proximité avec le régime Ben Ali qui circulent : une lettre qu'il aurait adressée au président déchu la veille de son départou un document indiquant qu'il aurait reçu plusieurs lots de terrains situés dans les Jardins de Carthage..

"Virginité miraculeuse"
Plus largement, c'est le virage opéré par le syndicat depuis la révolution du 14 janvier qui est pointée du doigt. Aux ordres du régime pendant des décennies, l'UGTT a participé aux manifestations contre le pouvoir et entend désormais jouer un rôle clé pour conduire la transition. Lors de la nomination du nouveau Premier ministre par exemple, le syndicat a fait part de sa déception à ne pas avoir été "consulté" sur ce choix. Abdessalem Jrad a pourtant été l'une des premières personnalités rencontrées par le nouveau chef du gouvernement Béji Caïd Essebsi...
"Par quel miracle l’UGTT, Jrad et les autres sont-ils devenus les leaders d’une révolution qu’ils ont ignorée durant les deux premières semaines avant de la rejoindre au dernier moment, lorsque les dés étaient jetés ? dénonce par exemple le journaliste Ridha Kéfi dans "Kapitalis". Personne n’est dupe de leur virginité miraculeusement retrouvée."
Jeudi, le syndicat des médecins hospitalo-universitaires a d'ailleurs décidé de geler son appartenance à la centrale, pour dénoncer ses pratiques.


Pour René Gallissot, historien des mouvements sociaux du Maghreb et du monde arabe, ces critiques sont justifiées. Au-delà d'Abdessalem Jrad, c'est tout le syndicat qui est visé. "L'UGTT était jusqu'à présent une succursale du RCD (le Rassemblement constitutionnel démocratique, l'ancien parti au pouvoir), explique-t-il. Le secrétaire général a été choisi directement par les services de Zine el-Abidine Ben Ali, qui réglaient le destin du syndicat. Celui-ci avait toutefois un rôle de soupape pour encadrer les problèmes sociaux. Il s'est joint, avec modération, aux premières manifestations contre le régime de Ben Ali pour essayer de se placer" dans le nouveau paysage politique.
Si l'UGTT est considérée par une partie des Tunisiens comme corrompue, à l'instar de tout le régime Ben Ali, le syndicat n'est toutefois pas monolithique. "Ce n'est ni un bloc, ni une coquille vide, insiste Michaël Hayari, chercheur associé à l'Institut de recherche et d'études du monde arabe et musulman (Iremam). Le syndicat en tant que tel est un acteur essentiel, qui a une assise populaire et une capacité de mobilisation incomparable avec celles des partis d'opposition. Mais il est traversé par plusieurs tendances : certains veulent faire le ménage et éliminer les éléments considérés comme corrompus ; une partie de la base veut une extension des luttes... Et à l'extérieur, les partisans du statut quo peuvent utiliser Abdessalem Jrad pour délégitimer l'UGTT."
L'UGTT dément les accusations

À la tête de la centrale, on réfute en bloc toutes ses accusations. "Ceux qui critiquent l'UGTT sont des anciens du RCD et des ennemis de la révolution, affirme Houcine Abassi, secrétaire adjoint du syndicat chargé de la législation. Nos adhérents sont unis et mobilisés. Abdessalem Jrad n'était pas un proche de Zine el-Abidine Ben Ali et tous les documents qui circulent sont mensongers."

"Nous allons régler nos problèmes en interne, mais c'est secondaire. L'organisation n'est pas en danger, c'est le pays qui l'est", ajoute-t-il.
Adessalem Jrad a lui affirmé qu'il avait été "le premier à déclarer son patrimoine", invitant quiconque trouverait un compte secret lui appartenant à en avertir la centrale. "Comme les autres secrétaires généraux, il a eu une gestion corporatiste et affairiste des ressources du syndicat. Autrement dit, les caisses ont été gérées d'une façon honteuse", estime toutefois René Gallissot.
Comment cette "forteresse institutionnelle" de l'ère Ben Ali va-t-elle désormais évoluer ? Habituée au double jeu, elle est de nouveau écartelée entre son projet de participer à une transition modérée et la nécessité de s'associer à la lutte sociale, quitte à faire de la surenchère, pour se donner une nouvelle légitimité. "Choisir un camp provoquerait la division du syndicat, estime René Gallissot. Mais une fracture n'est pas impossible."

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