Les défis économiques de l'après Ben Ali



Si le taux de chômage national est de 15%, il s'élève à 30% parmi les jeunes diplômés
REUTERS/ Cynthia Karam



Désormais débarrassée de l'emprise mafieuse de l'ancien régime, l'économie tunisienne a des atouts pour relancer la croissance et donner de l'emploi à ses jeunes diplômés. Mais il reste des obstacles de taille à surmonter.

Voilà une nouvelle dont la Tunisie se serait bien passée : Moody's a abaissé d'un cran la note du pays, en proie à de graves troubles depuis le "changement inattendu de régime". Dans son communiqué, l'agence de notation met en garde contre le prolongement d'une crise qui serait potentiellement dommageable pour l'économie du pays, étant donné sa dépendance envers le secteur du tourisme et les investissements étrangers". Le message est clair: dans l'immédiat, la priorité doit être de rétablir l'ordre politique afin de restaurer l'image touristique du pays et rétablir les flux qui ont été interrompus. Car avec 8 millions de visiteurs par an, le tourisme représente 15% du PIB et 800 000 emplois directs et indirects.
Donner de l'emploi aux jeunes
Mais une fois passée la période de transition, le premier vrai défi du gouvernement sera de s'attaquer au chômage. Si le taux national est de 15%, il s'élève à 30% parmi les jeunes qui ont fait des études. De fait, "le régime a chuté d'abord sur le problème du chômage des jeunes diplômés, estime Radhi Meddeb, président de l'IPEMED. L'ancien président Bourguiba avait misé sur l'enseignement et la libération de la femme. Aujourd'hui cela porte ses fruits." Sauf que l'économie, elle, est restée dominée par des secteurs qui emploient de la main-d'oeuvre peu qualifiée. Les jeunes diplômés se retrouvent donc sur un marché de travail qui ne leur offre que des emplois dans les calls centers, les hôtels et les usines textiles. "Plus on est diplômé, moins on a de chance de trouver du travail", résume Karim Bitar, économiste à l'IRIS.
Au total, il s'agit de créer 80.000 emplois par an pour absorber la main d'oeuvre. "Or l'emploi ne se décrète pas, affirme Rahdi Meddeb. Il résulte de l'investissement, qui nécessite un climat de confiance, aussi bien au niveau national qu'international". La fin du régime de Ben Ali devrait grandement aider en ce sens.
Démanteler le système Ben Ali
"Les Tunisiens n'osaient pas investir à cause de la mauvaise qualité du climat des affaires et par peur que les groupes proches du clan Ben Ali ne mettent la main sur leurs parts", explique le président de l'IPEMED. "Du petit restaurant à la grande banque, toute l'économie était ponctionnée par Ben Ali et la famille Trabelsi", confirme Karim Bitar. "Et ce qui était ponctionné n'était pas réinvesti dans l'économie tunisienne mais investi à l'étranger dans des secteurs oisifs non producteurs de valeur ajoutée, que ce soit des placements financiers en Suisse ou dans de l'immobilier, en France ou dans les pays du Golfe", renchérit El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à Dauphine. Selon la Banque mondiale, sans cette emprise familiale, le taux de croissance de la Tunisie, aujourd'hui de 4% par an, pourrait même atteindre 6 à 7%, autant que l'Inde.
Reste à traiter les actifs encore détenus par le clan Trabelsi. Une commission créée par le ministère de la Justice doit se charger de débusquer les avoirs acquis grâce au népotisme et à la corruption. Moncef Cheikhrouho, économiste tunisien et professeur de finance à HEC, prend l'exemple de la chaîne de bricolage Bricorama, qui s'est installée en Tunisie après la conclusion d'un accord avec un membre de la famille Trabelsi. "Légalement, il faudra trouver à Bricorama un autre partenaire. Les parts seront vendues aux enchères via un processus ouvert." Pour El Mouhoub Mouhoud, "la Tunisie passera probablement par une période similaire à l'économie de transition des pays d'Europe de l'Est. Le gouvernement devra nationaliser temporairement ces actifs de prédation avant de les revendre au secteur privé."
Assainir le système bancaire
Se débarrasser de l'emprise du clan Ben Ali signifie aussi "assainir le secteur bancaire en s'attaquant aux créances en souffrance qui représentent 20% des crédits bancaires, explique Lahcen Achy, économiste au centre Carnegie pour le Moyen-Orient. Sous la pression, les banques ont en effet dû accorder des crédits aux proches du régime sans pouvoir s'assurer de la qualité des projets ou de la fiabilité des emprunteurs".
N'empêche que la fuite de Ben Ali ne suffira pas à relancer les investissements et à lutter contre le chômage. "Le changement de régime ne va pas altérer la structure économique du pays et résoudre par miracle tous ses problèmes", avertit El Mouhoub Mouhoud.
Monter en gamme dans le tourisme et les services
Pour commencer, le pays est fortement inégalitaire selon les régions. "Les zones rurales ont été négligées à la faveur des zones touristiques côtières. C'est pourquoi l'aménagement du territoire devra être un des grands chantiers du gouvernement", selon Karim Bitar, qui rappelle que les émeutes sont parties de Sidi Bouzid, une ville du centre-ouest du pays.
Autre fragilité de l'économie: la polarisation autour du tourisme low-cost et de la manufacture légère, que ce soit la production textile ou l'assemblage mécanique. "Le tourisme tunisien doit monter en gamme, estime Lahcen Achy. D'autant plus qu'avec la crise européenne et la montée du chômage, le marché bas de gamme est de plus en plus volatil. Il faut imiter la stratégie du Maroc, qui arrive à engranger plus de recettes avec moins de touristes". La même montée en gamme doit s'opérer dans les services : "le pays ne doit plus se contenter d'ouvrir des call centers, il doit aller vers les services de la connaissance, le support informatique, le consulting, ajoute El Mouhoub Mouhoud. Après tout, la Tunisie a tous les atouts nécessaires : une diaspora, un capital humain et une main d'oeuvre qualifiée francophone de grande qualité"
Réduire la dépendance à l'Europe
Ensuite, "le commerce doit réduire sa dépendance vis-à-vis de l'UE, qui absorbe 75% des exportations tunisiennes, poursuit Lahcen Achy, car avec la crise, la demande baisse. La Tunisie doit donc se tourner vers les autres pays émergents et arabes".
"Il faut absolument améliorer la coopération entre voisins maghrébins, confirme El Mouhoub Mouhoud. Aujourd'hui, à cause des droits de douane et des autres problèmes de frontières, le commerce entre pays d'Afrique du nord coûte environ trois à quatre fois plus cher qu'avec l'UE, déplore-t-il. Si les pays du Maghreb et de l'Est de la Méditérranée arrivaient à créer une zone de libre échange, cela constituerait un marché régional assez vaste pour attirer les investissements étrangers". Cela serait particulièrement bénéfique pour la Tunisie, qui avec ses 11 millions d'habitants, "représente à elle seule un trop petit marché pour intéresser les investisseurs étrangers à la recherche de marchés".
                                                                                        Par Laura Raim

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