Nicolas Beau trace le portrait de Leïla Ben Ali




Épouse du dictateur depuis 1992, Leïla Ben Ali a cristallisé sur elle la haine du pays. Nicolas Beau, auteur du très documenté "La Régente de Carthage", raconte comment la première dame a mis en place un système mafieux. 

Elle a quitté la Tunisie comme une voleuse, et comment aurait-elle pu faire autrement ? Pendant dix-huit ans, Leïla Ben Ali a pillé et amassé. Elle a instrumentalisé le pays à son service, et les Tunisiens ont fini par la détester peut-être plus encore que son mari. Auteur de La Régente de Carthage, spécialiste de la Tunisie, le journaliste Nicolas Beau, directeur de la rédaction de Bakchich.info, trace le portrait de cette première dame aux allures de marraine mafieuse.

entretien > Comment Leïla Ben Ali a-t-elle vécu ces derniers jours ?
Nicolas Beau - Il y a encore quelques jours, elle continuait ses déplacements, elle est passée à Genève puis à Dubaï. Quand tout s'est accéléré, c'est elle qui a organisé la fuite de la famille. Quelques jours avant le départ de son mari, elle a pris la direction de Dubaï, où elle dispose d'appuis de longue date. C'est là qu'elle a placé une grande partie de la fortune familiale. Il y a de l'argent en Argentine, c'est avéré, mais la plus grosse partie est bel et bien à Dubaï. De bonnes sources, cette fortune est estimée à 400 millions de dollars.

Pourquoi était-elle si détestée par le peuple tunisien ?
Plus que n'importe qui, elle incarnait la perversion, la malhonnêteté et la rapacité du pouvoir Ben Ali. Tout ce qui l'intéressait était d'amasser de l'argent, pour elle et sa famille, les Trabelsi. Des pans entiers de l'économie étaient sous son contrôle, ou sous celui de ses proches. Et la bourgeoisie tunisienne la haïssait autant que le peuple, parce qu'elle n'était pas du même milieu.
Leïla Ben Ali a grandi dans une famille de onze enfants d'un quartier pauvre de Tunis, elle a été coiffeuse, puis secrétaire, elle n'a pas fait d'études (son seul diplôme régulièrement obtenu est un CAP de coiffure). Elle a tout fait pour prendre sa revanche sur cette bourgeoisie, et mettre son clan au sommet. C'était son obsession.

Pouvez-vous détailler la façon dont elle a mis la main sur une partie de l'économie tunisienne...
Elle s'est mariée avec Ben Ali en 1992 et, pendant plusieurs années, elle s'est faite relativement discrète. C'est à partir de 1996 qu'elle a commencé à placer ses pions et à généraliser la corruption. Pour faire prospérer ses intérêts, elle a brisé des couples, joué les marieuses, elle a menacé, elle s'est servi de l'appareil sécuritaire. Elle et sa famille prélevaient une dîme sur l'importation de chaque conteneur en Tunisie. Ils contrôlaient le business des grandes surfaces, des écoles privées, de l'internet.
Dans le livre, Slim Bagga, un journaliste et opposant refugié à Paris, explique que Leïla Ben Ali avait ordonné aux administrations de la prévenir dès qu'un projet supérieur à un million de dinars (environ 600 000 euros) était en gestation. Ensuite, si une affaire l'intéressait, elle décidait quel membre de sa famille en bénéficierait. Elle a mis en place un véritable système mafieux auquel personne ne se risquait à s'opposer.
En 2007, Mohamed Jegham, ex-ministre de la Défense, ex-ministre de l'Intérieur et ex-conseiller spécial de la présidence, a jugé utile de prévenir le président Ben Ali que la famille Trabelsi versait un peu trop dans la corruption et le racket. Leïla l'a appris. Dans la foulée, le malheureux s'est retrouvé exilé à Rome comme ambassadeur.

Dans le livre, l'absolu sans-gêne des Trabelsi saute aux yeux...
A tel point que le président Ben Ali lui-même, en 2002, avait réuni les membres de la famille Trabelsi pour leur dire que s'ils voulaient de l'argent, ils devaient au moins être discrets, créer des sociétés écran, avoir des hommes de paille. Mais ça n'a eu aucun effet. Imed Trabelsi, l'un des neveux de Leïla, tué ces derniers jours, s'illustrait en permanence par ses frasques.
Un jour, il se faisait virer d'une boîte de nuit pour avoir harcelé toutes les filles. Un autre, il roulait dans une voiture volée à un joueur de l'OM ou paradait dans un magnifique yacht volé en Corse à Bruno Roger, patron de la banque Lazard Frères. Il disait : "J'en ai des Ferrari, des limousines, mais même ma femme ne me fait pas bander comme le bateau, c'est un diamant brut." C'était un type vulgaire, grossier.

L'inculture et la grossièreté du clan est justement remarquable...
Ils ne respectaient rien. Même pas l'éducation, qui faisait la fierté des Tunisiens. Après avoir ouvert, aux frais de l'Etat, une école privée de très médiocre qualité, l'Ecole internationale de Carthage, Leïla a ainsi tout fait pour éliminer son concurrent, le lycée Louis-Pasteur, fleuron de l'enseignement en Tunisie.
Après trois ans d'acharnement, le lycée a fini par fermer ses portes, à la colère générale. Rien ne devait entraver les business du clan. Le plus drôle est que les Ben Ali eux-mêmes considéraient le lycée Louis-Pasteur comme une référence et qu'ils y avaient inscrit leurs deux filles quelques années plus tôt... Pour la petite histoire, ils avaient même tenté de faire arrêter les cours d'anglais et de français parce qu'une de leur fille n'obtenait pas d'assez bonnes notes....

Quel était l'objectif final de Leïla Ben Ali ?
Au départ, elle était obsédée par l'idée de devenir la première femme de Tunisie. Une fois ce but atteint, elle a tout fait pour placer son clan au sommet et s'enrichir. Plus récemment, elle avait changé d'objectif. Elle se voyait un destin politique. Elle militait publiquement pour que l'un de ses gendres accède au pouvoir, à la suite de son mari ; elle espérait en réalité devenir elle-même présidente. Elle roulait clairement pour elle-même. Elle décidait d'énormément de choses et elle avait le dessus sur son mari, affaibli physiquement. Entre eux, c'était même très compliqué.

Que sait-on de sa personnalité ?
Ses anciennes copines disent qu'à 20 ou 30 ans, elle aimait faire la fête, sortir, aller à la plage, on la surnommait même Leïla Gin, en référence à sa boisson préférée. Mais déjà, elle traînait dans les endroits où il fallait se montrer. Elle était prête à tout pour s'élever. Contrairement aux rumeurs qu'a pu faire courir la bourgeoisie tunisienne, elle n'a pourtant jamais été prostituée. Epargnons-lui cela. La vérité était déjà assez sombre.
                                                               Propos recueillis par Marc Beaugé

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