Boris Boillon, ambassadeur twitter, un peu cowboy, un peu sarkoboy




Après 18 mois passés en Irak, où il estime avoir rempli sa mission, Boris Boillon a été nommé ambassadeur de France en Tunisie. Ce sarkoboy 2.0, souvent présenté comme un James Bond de la diplomatie aura fort à faire pour redorer l'image de la France, déminer le terrain politique et retisser des liens avec la société civile. Sans compter la réorganisation d'un outil diplomatique qui a montré beaucoup de faiblesses au moment de la révolte tunisienne.

l incarne le prototype de l’homo diplomaticus moderne sous l’ère Sarkozy. Boris Boillon est jeune, « bogoss », et connecté. Un sarkoboy exemplaire. Loin  de l’image surannée du diplomate « Ferrero », Boris Boillon la joue plus James Bond 2.0, posant torse nu sur sa page Copainsdavant.com histoire d’exhiber une musculature solide et se rappeler aux bons souvenirs de ses ancien(ne)s camarades de classe. A peine nommé au poste d’ambassadeur en Tunisie, après un passage en Irak où il s’est forgé une belle notoriété dans son intimité ultra-sécurisée, constamment protégé par une escorte du GIGN, Boris Boillon s’est ouvert un compte twitter.
« Très impatient de bientôt me retrouver en Tunisie, au côté du peuple tunisien! », s'est-il exclamé en arabe et en français: « je crois que je suis le premier ambassadeur twitter !» lâche-t-il à Marianne2.
Pourtant l’accueil sur Twitter n’a pas été unanimement chaleureux. Des messages de bienvenue mais aussi des sorties plus féroces :

« Le gouv francais nous envoie la caricature du sarkozisme. Ce n'est pas parce que tu parles arabe que tu nous comprends. Cc @borisboillon
#Tunisie : pour @borisboillon la guerre en Irak a été une très bonne chose pour la #France car a rapporté beaucoup de contrats. Sachez le »
.

Caractéristique de la brutalité des échanges sur les réseaux sociaux. Sans doute. Symptomatique, aussi, de l’image dégradée de la France dans certains pays. Boris Boillon ne s’en formalise pas plus que ça : « j’ai ouvert mon compte twitter il y a quelques jours avec ses heurs et ses malheurs mais je vais l’utiliser régulièrement car arriver dans la Tunisie où a eu lieu la première e-révolution de l’histoire sans se servir de ces outils n’aurait pas de sens ».
 
Arabophone, fin connaisseur du Maghreb, Boris Boillon aura pour tâche de remettre un peu d’ordre dans l’Ambassade. Si, à première vue, le nouvel ambassadeur de France possède le CV parfait pour se faire adopter à Tunis, certains n’hésitent pas à se demander si cet ambassadeur à l'américaine, diplomate et businessman est bien « The right man at the right place ».

Un « néocon » à la française ?

Ancien ambassadeur de France auprès des Emirats Arabes Unis, également en poste en Somalie, et en Tunisie, auteur du livre Les Voies de la diplomatie, Charles Crettien a ainsi exprimé ses réticences dans une tribune au Monde  : « On ne nomme pas un ambassadeur comme on nomme un préfet. La diplomatie est un dialogue avec un pays étranger, son gouvernement et son chef d'Etat. La nomination de Boris Boillon comme ambassadeur de France en Tunisie par le conseil des ministres du 26 janvier est la négation de ce principe élémentaire, elle est donc choquante voire dangereuse pour les relations à venir entre Paris et Tunis » tempête le diplomate.

Et de douter également de la pertinence d’une nomination sans consultations, alors que le gouvernement tunisien n’était pas connu, contrevenant aux traditions qui veulent qu'un ambassadeur ne soit jamais désigné sans avoir d'abord consulté le ministère des Affaires étrangères du pays qui l'accueillera.

Derrière ses faux airs de gendre idéal de la diplomatie sarkozyste, Boris Boillon traîne quelques casseroles. Pas gênantes lorsqu’on est sarkozyste, un peu plus lourdes quand on est diplomate.
Boris Boillon n’a, par exemple, jamais caché qu’il défendait l’intervention américaine en Irak, légitimant en tant qu’ambassadeur la stratégie de George W Bush : « L'Irak est le vrai laboratoire de la démocratie dans le monde arabe, c'est là que se joue l'avenir de la démocratie dans la région. Potentiellement, l'Irak peut devenir un modèle politique pour ses voisins et qu'on le veuille ou non, tout cela a été obtenu grâce à l'intervention américaine de 2003 » expliquait-il au Figaro.

Ce qui lui vaudra sa casquette de « néoconservateur » et ce commentaire cinglant du chercheur en relations internationales Pascal Boniface  : « L’ambassadeur estime donc que le bilan de la guerre en Irak est globalement positif ». 

A l'époque, Boillon s'en prendra de façon assez vive à un chercheur de l'IRIS. Aujourd’hui encore, le diplomate assume ses propos sur l’Irak : « Pascal Boniface a interprété mes propos, c’est vrai qu’il m’a un peu énervé parce que je ne suis pas le « néocon » idéologue qu’il a dépeint. Je tire un bilan globalement positif de l’évolution de l’Irak. En tant qu’ambassadeur de France, j'ai vu des irakiens partagés, ils ont payé le prix fort parce que cela leur a coûté 150.000 morts et un  pays détruit mais pas un irakien n’accepterait de renoncer aux acquis de ce changement de régime. Evidemment qu’il y a de la violence, que les conflits interethniques ne sont pas réglés mais considérons ce qui a été fait : une presse qui est libre, une multitude de partis qui parlent au lieu de s’étriper ».

Il gère la visite de Kadhafi à Paris

Boris Boillon, ambassadeur twitter, un peu cowboy, un peu sarkoboy
Au quai d’Orsay, nul ne remet en cause ses aptitudes professionnelles mais on le décrit parfois comme « cassant », un peu « cow boy », pas tout à fait au top en tant que manager d’équipe... 

« Boris Boillon, c’est un petit jeune sympathique et malin, ni un génie, ni le chien galeux qu'on décrit parfois; un bon diplomate comme le quai en produit tous les ans, et comme il y en a à tous les étages au quai » confie un connaisseur des arcanes du Ministère des affaires étrangères, « sa grande chance a été, après son détachement à Bruxelles, d’aller au ministère de l’Intérieur pour être la « petite main » de David Martinon, le conseiller diplomatique de Sarkozy. Mais en 2002, adjoint au conseiller diplomatique de Sarkozy, ce n’est pas grand chose ».

Sarkozy élu en 2007, Boris Boillon suit Martinon et passe à la cellule diplomatique de l’Elysée pour s’occuper du monde arabe. A son arrivée, il travaille très étroitement avec Claude Guéant  sur le dossier des infirmières bulgares détenus en Lybie. Quelques mois après leur libération, Kadhafi est reçu à Paris. Un tournant dans la carrière de Boillon : «  Cela a été une semaine de tortures pour le protocole, la maréchaussée parisienne et les parisiens parce qu’on est passés par tous les caprices de l’autre abruti sous sa tente… » rigole encore un ancien de la maison, « Kadhafi changeait le programme tous les matins. Le cortège traversait Paris dans tous les sens. Tout le monde s’est foutu de la gueule des Français qui couraient derrière Kadhafi mais c’est Boris Boillon qui a géré ça auprès de Guéant et donc de Sarkozy. Et même si ça n’a pas été une réussite totale, Boris ne touchait plus terre à ce moment là. Il dirigeait les trucs en direct, court-circuitant les directeurs Afrique du Nord – Moyen Orient du quai d’Orsay. Il négociait avec Guéant et les représentants de Kadhafi. Pour un jeune diplomate qui a moins de dix ans d’expérience dans la maison, c’est l’euromillion ! ».

Remarqué par Sarkozy, le président lui confiera l’ambassade d’Irak en 2009. En bon VRP de la France en Irak, il est nommé pour décrocher des contrats : « la reconstruction en Irak est le marché du siècle : 600 milliards de dollars ! La France doit être aux avant-postes » annonçait-il  au magazine Challenges.
Telle une étoile filante, néanmoins médiatique, Boillon n’est resté que 18 mois dans le pays. Ce qui a eu le don d’en agacer plus d’un au quai d’Orsay où les carrières se construisent dans la durée. Impossible « normalement » d’avoir l’Irak à quelques jours de son 40ème anniversaire et encore moins la Tunisie à 41 ans bien sonnés. A moins d’être le fils préféré de Sarkozy.

Lui s’en défend : «18 mois c’est peu dans le temps diplomatique, mais  croyez-moi, en Irak, le temps compte double ». Et surtout, inconcevable, de dire « non » à une proposition émanant directement du président de la République : « Moi je suis un soldat, je n’ai pas demandé à quitter l’Irak ».
 
Mission Irak accomplie !
Un rien bravache, un brin provoc, Boris Boillon a le sens de la formule et sait se vendre : « quand je suis arrivé à Bagdad, j’avais trois axes et ces trois axes je l’ai ai mis en œuvre de manière résolue : renforcer la confiance, car désolé pour la fierté française mais tout le monde n’a pas adoré notre position en 2003. Des dirigeants irakiens me disaient « ce n’est pas grâce aux Français qu’on est là ». Renforcer l’état de droit et la citoyenneté. Et le dernier axe de mon bilan, il est économique. J’ai été réduit à ça, c’est peut-être de ma faute. Je ne suis pas qu’un ambassadeur économique mais en 2010, on a exporté pour 800 millions de dollars, presque trois fois plus qu’en 2008. Et pour moi le mot entreprise n’est pas une insulte». Bref, sur tous ces plans, il tranche :  « Mission accomplie ! Avec une équipe de 10 personnes, on a fait aussi bien… que l’ambassade américaine, où ils sont 3000 ! ». Pas besoin de conseiller en communication quand on a une telle assurance…

Et d’énumérer par cœur ses multiples réalisations : renforcement de la « circulation » entre l’Irak et la France, création de postes de consuls honoraires, mise en place de coopérations institutionnelles, participation à la création d’une gendarmerie irakienne, aides aux ONG, financement de micro-projets, formation des élites, recherche scientifique, projets culturels, l’implantation des grands groupes français. N’en jetez plus…

On croirait parfois entendre parler Sarkozy.  D’ailleurs, il n’a qu'un objectif : « traduire dans les faits la vision du président Sarkozy ». Un refrain qu’il ressasse à l’envi et qui lui vaut certains reproches :  « Passer de Bagdad à Tunis à 41 ans, c’est pas mal. C’est normal que cela suscite des rancoeurs, mais le plus contestable c’est surtout une façon pour Sarkozy de dire : je mets un mec à moi ! On ne demande même pas au quai d’Orsay de trouver un arabisant qui va répondre aux problèmes de la Tunisie d’aujourd’hui. On nous met un représentant de Sarkozy, c’est une autre forme d’hypercentralisation du pouvoir. C’est une dérive du fonctionnement de l’Etat. Plus qu’un représentant de la France, c’est un représentant de Sarkozy. Et même s’il n’est pas que cela, il est vu comme ça, ce qui pose un problème » confie un haut fonctionnaire.

Lui considère que connaître et avoir la confiance de Sarkozy est un atout dans la mise en œuvre de sa mission : « je suis simplement un ambassadeur. On me dit la politique de la France en Irak, c’est ça, en Tunisie, c’est ça et j’y vais. Mais c’est vrai, je représente aussi le chef de l’état parce que je le connais et je vous assure que ce n’est pas un inconvénient».

Le bon bonhomme au bon moment ?

Boris Boillon, ambassadeur twitter, un peu cowboy, un peu sarkoboy
Au moment d’évoquer la crise que traverse le quai d’Orsay, sa nomination précipitée sans consultation des autorités tunisiennes, ses missions à venir, Boris Boillon se montre immédiatement moins loquace et coupe court à la conversation...
Sa nouvelle ambassade l’attend. Il aura plusieurs priorités : mettre en place un vaste plan de réorganisation de l’ambassade, évaluer la sécurité actuelle en Tunisie, notamment pour la reprise des activités touristiques, déminer le terrain politiquement et retisser des liens avec la société civile.

Auteur du livre Les Diplomates, une enquête sur le monde de la diplomatie, c’est sur ce dernier point que le journaliste Franck Renaud se montre le plus sceptique : « Boris Boillon, c’est le diplomate star du sarkozysme. Certes, il connaît bien le Maghreb. C'est un fils de « pieds rouges », ces militants de gauche venus aider l'Algérie indépendante. Mais pour l’instant c’est un effet d’annonce. Il faut voir s’il y aura des changements parmi les collaborateurs. Les cafouillages en Tunisie prouvent qu’on avait coupé les ponts avec la société civile. C’est cela qu’il faut retrouver. La diplomatie, c’est les hommes. Est ce que c’est le bon bonhomme au bon moment ? ».
The right man at the right place ? Lui n’en doute pas une seconde. Il pourrait en faire un slogan. 
 
                                                           Régis Soubrouillard Marianne http://www.marianne2.fr/

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